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Le paysage comme un commun ?

Au sein d’un collectif qui expérimente une démarche basée sur la thématique du « paysage » ; laquelle, contrairement à ce que l’on pense a priori, est beaucoup plus que simplement esthétique. Il s’agit en fait d’une compétence émergente, encore en construction, consistant à utiliser ce concept comme levier des politiques publiques territoriales et des initiatives locales, associatives et privées ; en jouant pour cela sur les synergies entre les trois dimensions du paysage, lequel est à la fois écosystème naturel (et de biodiversité), territoire habité (socialement, économiquement, historiquement) et lieu d’attachement culturel et d'imaginaires. Ce dernier aspect, que j’ai trop souvent sous-estimé en bon techno que j’ai été, s’avère être une puissante énergie transformatrice, au sens de la « gouvernance transformative » promue aujourd’hui par le GIEC et l’IPBES (j’ai en préparation un papier sur cette notion émergente). La démarche paysagère permet de travailler de manière intégrée toutes les composantes du développement territorial : agriculture, forêt, eau, biodiversité, habitat, économie, tourisme, etc… en s’appuyant sur la médiation anthropologique et sur l'agitation artistique, pour une gouvernance locale refondée sur le commun. En effet, cette démarche ne peut se développer que parallèlement à la constitution de « communautés patrimoniales paysagères » attachées à leurs lieux de vie et empruntant au concept de commun pour en prendre soin.
Dans cet esprit, notre petit bout de Morvan, labellisé « Grand site de France » par le ministère de la transition écologique, se veut un laboratoire territorial « à taille humaine » (12 communes sur 420 km2, 3800 personnes dispersées en 500 lieux habités). La configuration géographique est intéressante, dans la mesure où elle s’exonère des limites administratives en se positionnant à cheval sur deux départements et sur trois communautés de communes ; ce faisant, elle offre à des élus et des habitants marginalisés de longue date sur leur petite montagne pauvre, entourée de plaines agricoles plus riches, l’opportunité de s’ériger collectivement en une centralité nouvelle et enfin reconnue ; là encore une sorte de commun.
Le territoire ainsi réorganisé a l’ambition d’être à terme une « semence de bon Anthropocène », comme on dit dans la littérature sur la gouvernance transformative. Ainsi, nous conduisons en synergie plusieurs projets de recherche-action d’adaptation financés par l’UE, sur l’élevage et l’agriculture (notamment avec AgroParisTech et deux chambres d'agriculture), sur la forêt (avec l’ONF et l’Université de Brno-Tchéquie), sur un patrimoine de chemins ruraux « fossilisés » et le tourisme doux qu’il permet (avec l’Université de Grenade-Espagne) ; par ailleurs, nous venons de décrocher un financement de l’ANR pour un projet de recherche participative (avec l’Université de Bourgogne et les agences de bassin Seine et Loire) sur le défi de l’eau, qui est la mère de nos batailles.
Cet éventail nous a permis de recruter une petite équipe d’animation de très grande qualité, qui a le souci de documenter l’aventure afin d'en apprécier les conditions de reproductibilité et d’essaimage. Mon rôle est d’éclairer ces jeunes collègues des acquis et aussi des erreurs d’une agence de développement comme l’AFD, montrant ainsi que l’échange d’expérience a tout à gagner à être à double sens, que ce soit en termes d'échelles (grandes institutions <—> micro-territoire) ou en termes géopolitiques (pays développés <—> pays en développement). Cette équipe est pilotée par l’excellent directeur général du Centre européen de recherche archéologique de Bibracte, Vincent Guichard, dont l’intérêt institutionnel pour la démarche repose sur le fait que le territoire concerné constitue l’écrin paysager du site archéologique et du musée qui lui est associé. La culture scientifique de cet établissement en fait pour les chercheurs et innovateurs de toutes disciplines un interlocuteur de choix, à même de concevoir des dispositifs expérimentaux pour les accueillir et de contribuer à la formulation des questions de recherche.
Les Entretiens de Bibracte réunissent habitants et élus, acteurs associatifs et socio-économiques, universitaires ayant le Morvan pour terrain de recherche et un intellectuel de référence, pour mettre en débat les questions qui s’y posent concrètement. C’est dans ce cadre que nous avons reçu Bruno Latour (qui nous a initié à son approche par le terrestre), Raphaël Larrère (penser et agir avec la nature), Étienne Le Roy (commun et foncier), Regis Ambroise (outils du paysage), Marc Dufumier (agriculture fondée sur les fonctionnalités écologiques).